Que ce soit dans la société réelle ou dans la société de l’information et du numérique, les individus doivent se conformer à certaines règles de vie en société et adopter un comportement compatible avec des valeurs essentielles comme le respect dû à autrui. Le fait d’utiliser internet pour porter atteinte de manière illégitime au bien ou à la considération d’autrui ne saurait par conséquent être toléré et appelle une sanction.
C’est le cas lorsqu’un internaute intervient sur un forum ou au travers de commentaires pour porter préjudice au produit ou à l’enseigne d’un commerçant. En l‘occurrence, de quels moyens juridiques dispose le e-commerçant pour faire cesser l’atteinte et obtenir réparation de son préjudice ?
La réponse à cette interrogation n’est pas évidente dans la mesure où d’une part, les internautes disposent de la liberté d’expression et que d’autre part il existe une pluralité d’intervenants (l’internaute, l’hébergeur) dans l’acheminement du message, ce qui rend plus difficile la recherche des responsabilités.
La garantie de la liberté d’expression sur internet
Le consommateur qui réalise ses achats sur internet dispose assurément d’une meilleure information que celui qui se déplace directement dans les magasins. Le village sans frontière qu'est internet permet aux internautes consommateurs de donner leurs avis sur les produits dont ils ont déjà fait l’expérience et ainsi alerter l’ensemble de la communauté des défauts et vices de certains produits. Ce faisant, l’internaute ne fait qu’exercer son droit à la liberté d’expression.
Ce droit d’exprimer librement ses opinions a une valeur constitutionnelle et est également garanti par l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Convention EDH). Ainsi, il ne pourra jamais être reproché à un internaute ayant visité un site commerçant d’avoir émis sur internet un avis défavorable sur les produits qui y sont référencés. Il convient de considérer cette nouvelle tendance consistant à évaluer les produits des e-commerçants à l’aide d’une grille de notes allant de 1 à 10, comme un progrès pour les droits du consommateur. Cela constitue un formidable moyen pour écarter les mauvais produits du marché et inciter les e-commerçants à redoubler d’efforts pour améliorer la qualité des produits présentés.
On peut rapprocher les avis et commentaires des internautes avec la pratique des associations de consommateurs UFC-Que Choisir et 60 millions de consommateurs qui font des essais comparatifs pour mieux informer les consommateurs et les avertir contre les publicités trompeuses et les produits commercialisés défectueux. Cependant, leur intervention s’effectue dans un cadre juridique déterminé contrairement au consommateur qui publie son message sur le web. Ainsi, ces revues ne peuvent pas réaliser de publicités comparatives et doivent surtout accorder un droit de réponse à l’enseigne commerciale concernée. Le cybermarchand se trouve donc le plus souvent fragilisé lorsqu’un internaute est venu publier un commentaire peu flatteur sur ses produits. Il dispose toutefois d’un droit de réponse en vertu de la loi LCEN du 21 juin 2004 (et du décret du 24 octobre 2007). Ainsi, le e-commerçant, dès lors qu’il est nommément désigné dans un service de communication au public (un forum par exemple) dispose d’un droit de réponse. Si ce droit de réponse existe bien, il faut néanmoins convenir que le e-commerçant verra sa réputation écornée et qu’il lui sera difficile de regagner la confiance du public.
Toutefois, cette liberté d’expression trouve sa limite lorsqu’il est fait un abus de ce droit, c’est-à-dire lorsque l’internaute porte une atteinte excessive (au-delà de ce qui est admissible) aux produits du cybermarchand. Il peut s’agir d’un concurrent du e-commerçant qui commet ainsi un dénigrement : les produits ou le e-commerçant lui-même sont discrédités aux yeux de la communauté internet. Le juge peut également retenir l’infraction de diffamation lorsque le message de l’internaute constitue une médisance. Dans tous les cas il revient au juge de déterminer au cas par cas la caractérisation de ces comportements illicites.
La diffamation ou le dénigrement en matière de e-commerce
Il n’existe pas de texte spécifique sanctionnant les publications à contenu diffamatoire ou dénigrant en matière de e-commerce. Dans un premier temps les tribunaux faisaient référence à l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou encore à la loi du 29 juillet 1982 sur la communication visuelle pour sanctionner une publication à contenu diffamatoire sur Internet. Mais depuis la loi du 1er août 2000 le réseau Internet est considéré comme un moyen de communication audiovisuelle.
Concernant le dénigrement, c’est à l’acte en concurrence déloyale que les tribunaux auront recours pour sanctionner le dénigrement en matière de e-commerce. Le dénigrement est le fait pour un concurrent de médire sur les produits d’un autre commerçant et d’entacher ainsi la réputation de celui-ci aux yeux du public consommateur.
La diffamation est définie à l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 comme :
[...] toute allégation ou imputation d’un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.
D’après ce texte, et selon un arrêt de la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation du 16 juin 2005, seule une personne physique ou morale peut faire l’objet d’une diffamation, à l’exclusion de produits ou services. En effet, la diffamation est une infraction personnelle qui porte atteinte à la considération ou à l’honneur d’une personne (même morale comme une entreprise) et le dénigrement d’un produit commercial ne peut relever de la diffamation selon un arrêt de la Chambre criminelle du 19 janvier 2010 (publié au Droit pénal 2010 n°48). Mais selon un arrêt de la 1ere Chambre civile du 15 décembre 2006 (Dalloz 2008 n°672), le dénigrement d’un produit peut constituer une diffamation lorsque par ce biais c’est le dirigeant même qui subit l’atteinte. La question n’est pas clairement fixée par la jurisprudence.
Le e-commerçant victime d’une diffamation peut intenter une action en justice afin de demander des dommages-intérêts en tant que partie civile. Lorsque l’infraction de diffamation est caractérisée le ou les responsables s’exposent à une peine d’amende de 12 000 euros (article 32 de la loi de 1881).
La particularité essentielle concernant la diffamation d’un e-commerçant réside dans la pluralité d’acteurs qui interviennent à différents niveaux dans la publication du contenu.
La détermination des responsabilités : notion juridique d’hébergeur et d’éditeur
En l’absence d’autorégulation par les acteurs du web eux-mêmes et face à l’importance grandissante du nombre de sites marchands, les pouvoirs publics sont intervenus à plusieurs reprises pour poser un cadre juridique et tenter de définir les responsabilités des acteurs du web. Cette détermination des responsabilités doit respecter les grands principes de droit pénal.
En vertu de l’article 121-1 du Code pénal :
Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait.
En droit pénal, il n’existe pas en effet de responsabilité pour fait d’autrui comme en droit de la responsabilité civile (sauf exception comme celle de l‘employeur pour les infractions commises par ses employés). En principe seul l’éditeur du contenu diffamatoire est responsable (l’internaute, bloggeur) pour le message diffamatoire ainsi que pour les commentaires qu‘il a suscités. Malgré ce principe fondamental, les juridictions n’ont pu empêcher l’application de responsabilités en cascade (comme le prévoit la loi de 1881 en matière d’édition) pour les acteurs du web. Cependant, on s’est très vite rendu compte qu’il n’était pas possible d’engager la responsabilité de tous les intervenants et notamment celle des hébergeurs.
L’hébergeur (fournisseur d’hébergement) est un simple intermédiaire qui stocke des informations en ligne provenant de l’internaute. Il bénéficie d’un régime dérogatoire de responsabilité dans la mesure où il n’est pas le véritable auteur du contenu diffamatoire.
La loi du 1er aout 2000 qui transpose la directive sur le commerce électronique du 8 juin 2000 (sur certains aspects juridiques de la société de l’information) est relative aux conditions de mise en jeu de la responsabilité civile et pénale des fournisseurs d’hébergement. Cette loi prévoit expressément un régime dérogatoire de responsabilité en faveur de l’hébergeur mais précise que l’hébergeur engage sa responsabilité lorsque, saisi par une autorité judiciaire il n’a pas agi promptement pour empêcher l’accès au contenu litigieux.
De même, la loi LCEN 21 juin 2004 dispose que :
Toute personne assurant une activité de transmission de contenu sur un réseau de communication électronique ne peut voir sa responsabilité civil ou pénale engagée à raison de ces contenus que dans le cas où soit elle est à l’origine de la demande de transmission litigieuse, soit elle sélectionne le destinataire, sélectionne ou modifie le contenu objet de la transmission.
Plus explicite encore l’article 6 de la loi LCEN de 2004 prévoit que l’hébergeur ne peut voir sa responsabilité civile et pénale engagée, à raison des informations qu’il stocke, que s’il avait connaissance du contenu illicite du message ou dès le moment qu’il en avait connaissance il n’a pas agi avec promptitude pour effacer les données illicites ou empêcher l’accès à l’internaute.
Les personnes physiques ou morales qui assurent [...] le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible.
En définitive, seul l’éditeur du message diffamatoire est responsable au regard de la loi du 21 juin 2004, sauf lorsque l’hébergeur a agi en connaissance de cause dans l’acheminement du message diffamatoire, auquel cas, le régime dérogatoire de responsabilité dont il bénéficie tombe.
En réalité l’e-commerçant éprouvera les plus grandes difficultés à se protéger contre les messages diffamatoires ou dénigrants publiés sur internet car il sera très difficile de supprimer l’accès à certains sites en raison du « phénomène des sites miroirs et de l’imprévisibilité des canaux d’acheminement » (pratique du droit de l’informatique et de l‘Internet, A. Hollande et X. Lina de Bellefonds, édition Delmas 2008).