E-commerce et juridiction compétente à l'international

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Comment déterminer la juridiction compétente en matière d'e-commerce à l’international ? Quelles spécificités en Union Européenne et dans le monde ? Les notions de vente passive et vente active sont à prendre en compte.
E-commerce et juridiction compétente à l'international

Les consommateurs n’appréhendent plus comme par le passé de réaliser leurs achats sur internet et d’y effectuer leurs paiements. Cet engouement peut s’expliquer par les belles affaires qu’ils peuvent y réaliser mais aussi par le côté ludique du commerce électronique. Pour les commerçants et plus généralement pour les entreprises, le commerce électronique présente aussi des avantages en ce qui concerne par exemple la gestion des stocks (moins importante) ou encore l’extension du rayon géographique pour atteindre beaucoup plus de clients (internet n’a pas de frontière). Ce rayon géographique n’est d’ailleurs plus seulement national, il est devenu international depuis quelques années.

Ainsi, les consommateurs et les professionnels ont recours à internet pour réaliser des achats ou des ventes hors de France. Un internaute français peut effectuer un achat sur le site internet d’un commerçant italien dont le siège social est situé en Italie. Une entreprise française peut passer commande sur le site d’un fournisseur allemand qui se trouve implanté en Allemagne. Dans tous ces cas il s’agit de commerce électronique international. L'e-commerce international n’est pas gouverné par des règles spécifiques : interviennent ici les mêmes règles qui régissent le commerce numérique en droit interne ainsi que les règles de droit international privé sur les conflits de lois et de juridictions.

La particularité de l'e-commerce international est de poser une difficulté de conflit de lois applicables et du juge compétent pour connaître du litige qui pourrait résulter de la relation commerciale. Naturellement, tout internaute français souhaiterait que le juge français soit toujours compétent pour juger le litige qui l’oppose à un commerçant étranger. Mais la loi applicable ne sera pas nécessairement la loi française, ni le juge compétent celui de la France, pour régir et connaître du contrat électronique passé entre personnes situées dans des Etats différents. En ce domaine il faut distinguer selon qu’il s’agit d’une relation entre professionnels agissant pour les besoins de leurs activités ou de celle entre un professionnel et un consommateur. Il faut également faire la distinction du cadre européen ou international (hors Union européenne) du litige.

Le juge compétent en matière d'e-commerce dans le cadre de l’Union Européenne

La compétence du juge français n’est pas acquise du seul fait que l’internaute a passé sa commande sur un site commerçant étranger depuis la France. Les règles sont légèrement plus complexes. Pour déterminer quel juge sera compétent pour se saisir du litige intervenu entre un internaute français et un e-commerçant domicilié dans un Etat de l’Union européenne, il faut se référer à la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et au règlement européen qui la modifie du 22 décembre 2000. La réglementation de l’Union européenne régit de manière générale la question de la compétence du juge tout en prévoyant de manière ponctuelle des dispositions protectrices des consommateurs.

L’article 16 du règlement du 22 décembre 2000 offre au consommateur le choix d’intenter son action contre le professionnel soit devant les tribunaux de l'État où est domicilié ce professionnel, soit devant les tribunaux de l'État de sa résidence. En revanche, le professionnel qui souhaite agir contre un consommateur ne peut le faire que devant les tribunaux du domicile de ce consommateur (article 16). Les parties ne peuvent pas prévoir par des clauses la compétence d’un autre juge, sauf après la naissance du litige (article 17 -1 du règlement).

Toutefois, l’application de cet article 16 très favorable au consommateur quant au choix du juge compétent, est soumise à certaines conditions. L’article 15 du règlement prévoit en effet que ce choix de juridiction offert au consommateur n’est ouvert :

  • que s’il s’agit d’une vente à crédit d’un bien mobilier ;
  • que le professionnel exerce son activité sur le territoire du domicile du consommateur ou que par tout moyen il dirige ses activités commerciales vers l’Etat de résidence du consommateur. Ce dernier critère fait donc directement référence au commerce par internet.

En conséquence, lorsque le consommateur procède à un règlement au comptant et non plus à crédit d’un bien mobilier, il ne pourra a priori pas exercer le choix du son juge de proximité. A priori seulement, car si le consommateur démontre que le professionnel a dirigé son activité vers l’Etat où il réside, il recouvre la possibilité de choisir son juge de proximité. La vente au comptant d’un bien mobilier pose des difficultés au professionnel pour situer le lieu du domicile du consommateur, il s’expose en effet à être surpris, ce qui conduira à la compétence du juge de l’Etat où réside le consommateur. Or un professionnel ne peut pas risquer de se voir attraire devant toutes les juridictions des Etats de l’Union. C’est la raison pour laquelle on exige donc ce critère supplémentaire d’activité dirigée vers l’Etat de résidence du client.

Toutefois, ce raisonnement est critiquable dans la mesure où un e-commerçant ne peut pas ignorer qu’en créant un site internet, des consommateurs de différents Etats peuvent visiter ce site et passer des commandes. Par conséquent, l’effet de surprise dont on souhaite protéger le professionnel n’est pas pertinent.

Le critère d’activité dirigée remplace les anciennes notions de publicité et de démarchage du professionnel pour atteindre le consommateur. Selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, ce critère signifie que le professionnel réalise un ciblage délibéré dans le pays du consommateur, avec une volonté d’établir des relations commerciales.

Ce critère s’inspire de la distinction opérée dans le domaine des ententes concurrentielles entre ventes passives et ventes actives. Il y a activité dirigée lorsque le professionnel a eu la volonté de séduire le consommateur d’un pays déterminé. Ainsi, lorsque l’e-commerçant sollicite le consommateur par courrier électronique, il n’y a aucun doute quant à l’exercice d’une activité dirigée par le professionnel, ce qui permettra au consommateur de bénéficier du choix de s’adresser à son juge national. Mais le simple fait pour un consommateur français de pouvoir accéder au site internet de l’e-commerçant allemand n’est pas suffisant pour satisfaire au critère d’activité dirigée. Fort heureusement d’ailleurs, car dans le cas contraire, à retenir la simple accessibilité au site pour fonder le critère d’activité dirigée, le e-commerçant aurait été contraint d’aller plaider devant tous les Etats depuis lesquels il est possible d’accéder à son site internet (c’est-à-dire dans tous les Etats). Rappelons-le, dès lors qu’il y a la preuve d’une activité dirigée, l’e-commerçant est contraint de subir le choix de juridiction du consommateur.

C’est pour cette raison qu’un arrêt du 7 décembre 2010 de la Cour de Justice de l’Union Européenne a supplanté ce critère d’accessibilité par celui de focalisation. En effet pour la Cour, un simple site passif ne saurait constituer une activité dirigée et la simple accessibilité au site internet pour le consommateur domicilié dans un autre Etat membre est insuffisante pour caractériser la notion d'activité dirigée vers l'Etat où le consommateur a son domicile. Pour détecter la volonté du professionnel de s’adresser à un client d’un Etat, la Cour retient différents indices tel celui de la langue employée sur le site internet ou la présence de coordonnées téléphoniques avec indication d'un préfixe international. Si ces indices sont présents sur le site internet, ils seront la preuve que le professionnel a entendu viser activement le consommateur local.

La Cour de cassation ne se contente d’ailleurs pas de la simple accessibilité au site pour retenir la compétence du juge français, elle a recours à un critère supplémentaire comme par exemple celui de la disponibilité du produit en France. Ainsi dans un arrêt de la Chambre commerciale du 9 mars 2010, au sujet d’une concurrence déloyale sur internet entre deux sociétés suisse et allemande spécialisées toute deux dans la vente par internet de pneus : la société suisse avait saisi un juge français, ce qui avait été critiqué par la société allemande (pour incompétence internationale), alors que « pendant plusieurs mois [...] les pages d'accueil des sites incriminés étaient rédigées en français », qu'existait « une rubrique de commentaire de satisfaction de la clientèle française », cela suffisait pour donner compétence à un juge français. En ce sens, nous étions bien en présence d’un site internet actif ou pour reprendre le vocabulaire communautaire, activité dirigée vers l’Etat du consommateur français.

La loi applicable en matière d'e-commerce international

Lorsqu’un consommateur réalise un achat sur le site d’un commerçant implanté à l’étranger, le principe est que les parties disposent d’une liberté de choix concernant la loi applicable (c’est la loi de l’autonomie qui irrigue le droit du commerce international). C’est la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la détermination de la loi applicable aux contrats internationaux, modifié par le règlement CE du 17 juin 2008 qui prévoit ce principe (article 6 du règlement). Cependant, le consommateur bénéficiera toujours des mesures protectrices qui ont un caractère impératif (elles sont d’ordre public).

Si les parties n’ont prévu l’application d’aucune loi, celle de l’Etat de résidence du consommateur s’appliquera automatiquement.

Le juge compétent en matière d'e-commerce hors de l’Union Européenne

Un internaute français qui réalise une opération commerciale sur un site internet d’un commerçant américain ou canadien bénéficiera d’un ensemble de dispositions du droit interne français qui reconnait en général la compétence du juge français. Ici la règle est celle de la compétence du juge du domicile du défendeur prévue par l’article 42 du Code de procédure civile, en vertu du principe de la transposition des règles de compétences internes aux règles de compétences internationales. Ainsi, si un internaute français intente une action contre un e-commerçant canadien, le juge compétent sera a priori le juge canadien, c’est-à-dire celui du domicile du défendeur. Mais l’article 46 du Code de procédure civile ouvre une option au demandeur en lui permettant de saisir le juge français si la livraison de la chose ou de la réalisation de la prestation ont effectivement lieu en France.

Par ailleurs, les articles 14 et 15 du Code civil réservent la compétence au juge français pour connaître des litiges internationaux faisant intervenir une personne de nationalité française : un commerçant américain domicilié en Amérique qui a contracté avec un consommateur français (et en France) pourra être cité devant un tribunal français. Ainsi le Code civil institue un privilège de juridiction au profit d’un consommateur français qu’il soit demandeur ou défendeur.

Toutes ces dispositions sont d’ordre public en ce qu’elles protègent l’internaute qui a la nationalité française, elles ne peuvent donc pas faire l’objet de clause dérogatoire du type clause attributive de juridiction. Si l’internaute dispose de la faculté d’y renoncer, le e-commerçant n’est pas admis à stipuler une clause par laquelle il désignerait la compétence du tribunal de son domicile. Une telle clause serait susceptible de constituer une clause abusive.

 
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