Le droit en vigueur dans un pays donné reflète naturellement l’idéologie et le régime politique et économique de ce pays. Ainsi le droit de la vente a-t-il intégré le régime d’économie libérale, teinté de socialisme, qui caractérise la France. La réglementation juridique de la vente comprend des règles favorables à la liberté du commerce et à la liberté contractuelle. Elle comprend aussi une part de règles destinées à protéger les consommateurs dans le cadre des contrats qu’ils concluent avec les professionnels de la vente. Des lois contenues dans le Code de la consommation ont ainsi pour finalité de rétablir le déséquilibre dans les relations entre professionnels et consommateurs lorsque celui-ci est trop significatif.
Il existe donc d’un côté des droits appartenant au professionnel de la vente (le commerçant) et de l’autre, des droits dont bénéficient le consommateur et qui le protègent contre certaines pratiques du commerçant. La confrontation de ces droits opposés débouche sur un rapport de force qui profite dans l’ensemble au commerçant. En effet, la règle en la matière est la liberté pour le commerçant de refuser la vente à un consommateur, au nom de la liberté contractuelle et de la liberté d’entreprendre. Mais l’exercice de cette liberté est soumis à la condition d’un motif légitime. C’est uniquement à cette condition que le commerçant pourra opposer un refus de vendre au consommateur.
Le droit pour le commerçant de refuser la vente
Le commerçant bénéficie en contrepartie des risques qu’il a pris et du capital financier investi dans son commerce, d’une certaine liberté contractuelle. C’est la tradition libérale économique qui a suscité cette liberté au profit du commerçant. Elle consiste dans la liberté de choisir son cocontractant. Le commerçant, maître des produits qu’il distribue, dispose de la faculté de refuser la vente de ses produits de manière arbitraire. La liberté contractuelle a aujourd’hui une valeur constitutionnelle et découle de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Cela signifie qu’elle dispose d’une garantie contre tout changement législatif qui viendrait la supprimer.
En principe donc, un consommateur ne peut pas reprocher à un commerçant son refus de lui vendre un bien.
Cette liberté contractuelle s’applique en réalité à tous les types de contrats et non pas seulement à la vente. La manifestation la plus nette de cette liberté s’observe dans les contrats conclus en considération de la personne, tel le contrat de travail, où le professionnel choisit de manière discrétionnaire celui avec qui il désire contracter. Dans le domaine du crédit bancaire, le banquier n’est pas tenu de justifier son refus de consentir le crédit, il dispose d’une totale liberté d’accepter ou de refuser (Assemblée plénière de la Cour de cassation du 9 octobre 2006).
Néanmoins, depuis le développement du droit de la consommation à partir des années 1960, le législateur a souhaité protéger les consommateurs, en situation de faiblesse, par rapport aux commerçants beaucoup plus informés en matière de qualité des produits. Les droits des consommateurs s’étant amplifiés au cours des années, de nombreuses règles ont été posées en leur faveur, dont notamment celles relatives au refus de vente par le professionnel. Il ne s’agit pas d’une remise en cause absolue de la liberté contractuelle du commerçant (constitutionnellement garantie) de choisir son cocontractant, mais de son aménagement pour tenir compte du cadre de la société de protection des droits du consommateur dans laquelle nous évoluons.
La protection du consommateur face au refus de vente du professionnel
Si pendant longtemps, la règle était celle d’une liberté totale pour un professionnel de refuser de vendre son produit à un consommateur, il en va différemment aujourd’hui. En effet, le principe est celui de l’interdiction du refus de vente sans motif légitime. Cette règle est prévue par l’article L122-1 du Code de la consommation selon lequel :
« Il est interdit de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime ».
La règle est claire : un commerçant ne peut pas faire valoir sa liberté contractuelle pour refuser, sans motif légitime, la vente d’un produit. En somme il est contraint de vendre son produit à tout consommateur qui se présente à lui, sauf à faire valoir un motif de nature à justifier son refus. Constitue un refus légitime le fait pour un commerçant de ne pas disposer du produit en stock. Le commerçant peut légitimement refuser de servir au bar une personne ivre. De la même façon, un commerçant peut refuser de vendre à un consommateur lorsque l’insolvabilité de ce dernier est connue. En présence d’un consommateur agressif ou qui profère des incivilités, le commerçant est en droit de refuser la vente de ses produits. Beaucoup d’autres situations de ce type où la sécurité et l’intérêt général sont concernés, autorisent le commerçant à refuser la vente.
Néanmoins, les situations les plus problématiques concernent celles où intervient une liberté publique garantie par des textes nationaux ou européens : liberté de conscience, de religion, du respect de la dignité humaine etc…
Le refus d’une prestation de service à l’égard d’un consommateur souffrant d’un handicap physique n’est pas légitime et le commerçant-restaurateur qui refuse l’accès de son restaurant à ce client s’expose aux sanctions prévues aux articles 225-1 et suivants du Code pénal. Par ailleurs, la Cour d’appel de Paris avait sanctionné un restaurateur ayant refusé de servir au client un croque-monsieur en salle car ce type de produit ne se consommant qu’au bar (Paris, 24 septembre 1991, revue Semaine juridique 1992. IV. 199).
De son côté, le commerçant n’est pas privé du droit d’invoquer un motif tenant au respect d’une liberté fondamentale, seulement, toutes les activités commerciales n’y ouvrent pas droit. Ainsi un pharmacien ne peut motiver son refus de vente de produits contraceptifs par des convictions personnelles et éthiques. Ainsi le pharmacien, qui est commerçant, dispose du monopole de la vente de médicaments, ce qui lui interdit de refuser la vente d’un produit contraceptif pour des raisons religieuses (Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 21 octobre 1998).
Le refus de vente sans motif légitime est sanctionné par une peine d’amende de 1500 euros (contravention de 5e classe) tel que prévu à l’article R132-1 du Code de la consommation.