L’administration fiscale a-t-elle en ligne de mire les revenus que les internautes tirent d‘une activité sur internet? S’agit-il d’une niche fiscale que les pouvoirs publics veulent réguler ? Après une proposition avortée de réglementer ces microrevenus, à ce jour aucun texte ne vient spécialement poser un cadre juridique précis aux revenus empochés par un internaute grâce aux ventes d’objets d’occasion ou de monétisation d’un bandeau publicitaire sur son site. Faute de pouvoir juridiquement qualifier cette activité afin de lui appliquer le cadre juridique et fiscal approprié, ce sont les règles juridiques générales du droit commercial qui viennent encadrer l’activité e-commerciale des particuliers.
Tentative d’imposition des revenus des particuliers sur internet
En 2008, un rapport publié par un groupe de sénateurs (le club sénat) révélait qu’environ 2 millions de personnes percevaient à côté de leur revenu habituel, grâce à une activité sur internet, des revenus supplémentaires estimés en moyenne à 200 euros mensuel. Selon ce même rapport ces activités ne cesseront d’augmenter pour générer un chiffre d’affaire global de 5 milliards d’euros en 2015. Ainsi les transactions réalisées par les internautes prendront dans l’avenir une envergure financière qui intéresse de près les pouvoirs publics et en premier lieu les services fiscaux de l’Etat. Dès lors, ce rapport préconisait d’imposer par un impôt unique de 13 % ces micro revenus numériques des particuliers obtenus sur internet.
Dans leur rapport, les initiateurs de cette proposition mettaient en avant la situation de flou juridique dans laquelle se trouvait actuellement l’internaute qui réalise des opérations de vente de biens d’occasions ou celui qui bénéficie d’une rémunération grâce à un bandeau publicitaire sur le site qu’il a créé. La non déclaration des revenus issus de ces activités s’analysait selon ce rapport en à un travail dissimulé et constituait une infraction aux règles du droit commercial relatives à l’immatriculation de toute activité économique. C’était donc en définitive rendre service à l’internaute que de soumettre à l’impôt les sommes qu’il empoche sur internet, en lui confectionnant un statut juridique sur mesure.
Cette proposition, bien que cohérente puisque s’inscrivant dans la politique plus générale de professionnalisation du e-commerce, a néanmoins soulevé un certain mécontentement de professionnels du e-commerce (par exemple la réaction de Pierre Kosciusko-Morizet, PDG du site PriceMinister) ou d’indignation de la part d’internautes pour qui il est scandaleux de taxer ces faibles revenus tirés d’une activité qui n’a rien de commercial.
Le rapport en cause n’a finalement pas donné lieu au dépôt de la proposition sur le bureau de la commission des lois. Est-ce parce qu’entre temps la loi sur la modernisation de l’économie du 4 août 2008 créa le statut d’auto-entrepreneur ? De fait, parmi les internautes qui refusaient d’être considérés comme des professionnels du e-commerce (barrière psychologique ou crainte de se voir appliquer le statut juridique imposant et très réglementé du cybermarchand) beaucoup sont effectivement devenus auto-entrepreneurs. Le statut d’auto-entrepreneur nouvellement crée permet à toute personne souhaitant compléter ses revenus habituels d’exercer à titre accessoire une seconde activité. Le régime juridique prévu pour ce statut est assez attrayant au point de vue des formalités à accomplir et de la comptabilité à tenir. Néanmoins l’effort du législateur ne semble pas encore suffisant aux yeux de certains internautes qui estiment le statut d’auto-entrepreneur pas assez souple.
L’application des règles générales du droit commercial
Reste qu’à défaut d’avoir officiellement opté pour le statut d’auto-entrepreneur, celui qui réalise sur internet une activité économique de manière régulière et répétée accomplit des actes de commerce. Il existe certes différents critères de l’acte de commerce, mais la jurisprudence retient en général celui de la volonté de spéculer, c’est-à-dire de réaliser une plus-value.
L’accomplissement d’actes de commerce est-ce qui permet d’attribuer la qualité de commerçant à une personne et de lui appliquer en conséquence le régime juridique des commerçants. Cependant, il faut bien convenir qu’il est superficiel d’appliquer l’article L110-1 du Code de commerce, selon lequel est réputé acte de commerce tout achat de biens meubles pour les revendre, à une activité de vente d’objet d’occasion sur internet. Il ne fait pas de doute que les internautes qui achètent des produits pour les revendre directement sur internet accomplissent des actes de commerce et ont la qualité de commerçant de fait. Ils commettent donc l’infraction de travail dissimulé lorsqu’ils ne déclarent pas leur activité. De plus, en ne procédant pas aux déclarations qui s’imposent, ils éludent la loi fiscale puisqu’ils échappent à toute imposition des revenus ainsi dégagés. Or, ces revenus sont imposables au titre de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. En revanche, ce n’est pas le cas de l’internaute qui revend son bien usagé sur internet : il n’y a pas achat pour revendre immédiatement.
Concernant les revenus dégagés grâce aux bandeaux publicitaires, apparaissant sur les sites personnels des internautes les plus investis et dont le site a acquis une certaine audience, il est permis de s’interroger. Même si ces revenus sont en général modestes (quelques dizaines d’euros par mois selon le rapport de 2008 cité ci-dessus) ils peuvent constituer, sans être un revenu du travail, une rémunération stable (critère de qualification du salaire pour l’imposer à l’impôt sur le revenu). Mais comme précédemment, ils échappent eux aussi à toute imposition à l’heure actuelle.
Les difficultés pratiques d’imposition des revenus sur internet
Plusieurs experts ont montré que les transactions commerciales sur internet peuvent difficilement être appréhendées par les services fiscaux dans la mesure où d’une part leur immatérialité se joue des frontières et que d’autre part, l’identification des internautes n’est pas assurée.
Surtout, il s’avère très difficile de connaître avoir certitude le volume des transactions réalisées par un internaute et par conséquent le montant des revenus qu’il tire de l’activité. En pratique, en cas de contrôle par l’administration fiscale, l’internaute qui dispose de revenus tirés de ses activités sur internet, supérieurs à ses revenus habituels (son salaire), sera considéré comme un commerçant (voir en ce sens le jugement du tribunal de Mulhouse du 12 janvier 2006, MP c/ Marc W, condamnation de l‘internaute pour travail dissimulé). Sachant que la marge d’intervention pour imposer ces rémunérations est faible, les pouvoirs publics ont choisi de se concerter avec les responsables des plateformes électroniques (eBay notamment) pour s’accorder sur un seuil des revenus au-delà duquel l’internaute devra en faire la déclaration et adopter le statut de commerçant. Ainsi, l’internaute qui réalise un chiffre d’affaire égale à 2000 euros mensuels dégagés sur 3 mois consécutifs est-il invité à changer de statut. Cependant il s’agit d’une simple préconisation, sans force juridique.
Enfin il faut signaler que l’administration fiscale dispose d’un droit de communication qui lui permet d’accéder à certaines informations quant aux transactions commerciales réalisées par un internaute. Il s’agit de l’article L96 G du Livre des procédures fiscale. Selon cet article les agents des impôts peuvent se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques, et celles relatives à l'identification du vendeur ou du prestataire, à la nature des biens ou des services vendus, à la date et au montant des ventes ou prestations effectuées par les opérateurs des services. Ce droit est strictement encadré par les tribunaux en raison de l’intrusion qu’il occasionne dans la vie privée des internautes.