Dans les pays développés comme la France les autorités publiques encadrent strictement la mise sur le marché de produits destinés aux consommateurs. Il existe ainsi une pléthore de textes législatifs et réglementaires qui viennent contrôler les conditions d’accès à la profession de commerçant, aux conditions de mise sur le marché du produit, aux conditions de la qualité du produit, etc.. Ce foisonnement de réglementation en matière de mise sur le marché de produits à destination du consommateur s’explique par le souci de préserver la santé et la sécurité des personnes, valeurs les plus protégées aujourd‘hui, même dans une société de consommation aussi libérale comme la nôtre.
Par ailleurs, dans les sociétés libérales l’organisation économique est verticale : en amont les industriels ou producteurs et en aval les distributeurs ou fournisseurs, le consommateur final se trouvant, lui, en bout de chaîne. Cette organisation permet ainsi d’éviter la constitution de cartels et permet aussi aux acteurs économiques de se concentrer sur leur cœur de métier pour être plus productifs.
Il existe du reste un autre intérêt à cet agencement économique, il concerne la question des responsabilités à rechercher en cas de dommage causé par l’un ou l’autre de ces acteurs. Le droit et, par conséquent, les tribunaux sont attentifs pour remonter la chaîne des responsabilités afin de dépister le véritable responsable. Un exemple de la recherche du responsable originaire nous est donné par la loi du 19 mai 1998 sur la responsabilité du fait des produits défectueux : cette loi insiste sur la distinction entre la responsabilité du fabricant et celle du vendeur quant à un défaut du produit.
Toutefois, les relations économiques ne sont pas réductibles à ce schéma et des fabricants peuvent aussi bien vendre eux-mêmes leurs produits. Il s’agira essentiellement de produits de première nécessité (produits alimentaires) car il est rare de voir un industriel vendre directement ses produits au consommateur (sauf exception, comme les ventes directes d’usines). Il en est ainsi par exemple du boulanger qui fabrique son pain et le vend directement au consommateur sans passer par un intermédiaire. Ou encore du cultivateur qui conçoit lui-même les confitures qu’il revend (bien que ce ne soit qu’une activité accessoire) Dans ce cas, il convient de s’interroger sur la responsabilité de ce vendeur et voir s’il y a lieu de la distinguer de celle du vendeur qui ne fait que commercialiser des produits déjà fabriqués par d’autres producteurs.
La responsabilité du vendeur-fabricant au regard du droit commun
Les juristes ont notamment justifié la responsabilité du vendeur à l’égard de ses produits tantôt par la théorie des risques, tantôt par celle du profit. Un vendeur doit être tenu pour responsable des risques qu’il introduit dans la société du fait de ses produits, comme il doit répondre des dommages causés en raison du profit qu‘il tire de son activité. Ainsi, les tribunaux considèrent-ils que le vendeur-fabricant est débiteur d’une obligation de mise en garde, d’un devoir de conseil ou de renseignement à l’égard de l’acheteur. Cette obligation est d’autant plus grande que le consommateur n’est pas en position de contrôler le produit et qu’il est contraint d’accorder toute sa confiance au vendeur.
En outre, tout vendeur est légalement tenu des obligations de conformité et de garanties contres les vices de la chose vendue (articles 1641 et suivants du Code civil). Sa responsabilité sera engagée toutes les fois que le produit vendu ne répond pas aux attentes primitives contractuellement convenues entre lui et l’acheteur. Cette responsabilité porte donc sur le bien lui-même. Mais qu’en est-il du dommage causé à la personne même de l’acheteur ou un tiers ?
Le vendeur, dès lors qu’il met sur le marché un produit, même fabriqué par ses soins, est un professionnel de la vente. Comme tout professionnel il doit se conformer à la législation en vigueur dans le secteur où il intervient. En vertu de l’article L421-3 du Code de la consommation :
Les produits et les services doivent, dans des conditions normales d’utilisation ou dans des conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte à la vie des personnes .
En utilisant le terme de « professionnel » cet article, qui fait directement référence à l’obligation de sécurité de résultat, s’applique au vendeur. A l’occasion d’une vente, Il pèse sur lui une obligation de sécurité qui commande de ne pas provoquer de danger pour la santé et la sécurité du consommateur.
La jurisprudence avait déjà retenu une telle obligation contractuelle à la charge du vendeur. Le vendeur est de plein droit responsable de toutes les atteintes à la santé et à la sécurité des personnes (et même aux biens) selon un arrêt de la 1ère Chambre civile du 11 juin 1991 n°89-12.748. Le consommateur supporte la charge de la preuve d’un lien de causalité entre son dommage et le fait générateur (idée de siège du dommage ou d’implication comme en matière d’accident de la circulation).
Cette obligation contractuelle de sécurité dans la vente présente certains avantages au profit du consommateur puisqu’elle permet d’échapper au délai de deux ans pour agir prévue en matière de vices cachés. Surtout, contrairement à la responsabilité des articles 1641 et suivants du Code civil (vices cachés et conformité), elle n’exclut pas le recours à la responsabilité spéciale du fait des produits défectueux (articles 1245 et suivants du Code civil). Il est vrai que depuis l’insertion dans le Code civil des articles 1245 et suivants relatifs à la responsabilité du fait des produits défectueux, la Cour de cassation a implicitement abandonné l’obligation de sécurité de résultat en matière de vente (pour les atteintes à l’intégrité physique).
Sur le plan pénal, c’est sur le fondement de la mise en danger de la vie d'autrui, délit prévu par l‘article 223-1 du Code pénal que l’atteinte à la santé et à la sécurité du consommateur est réprimée.
La responsabilité du vendeur-fabricant du fait des produits défectueux
La loi du 19 mai 1998 a transposé la directive européenne du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux. Cette loi a été insérée aux articles 1245 et suivants du Code civil. Il est précisé que le :
producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
Ici il ne s’agit plus de « professionnel comme dans le Code de la consommation mais de « producteur ». Il convient donc de savoir si le vendeur qui fabrique lui-même ses produits entre dans cette catégorie de producteur.
Selon l’article 1245-5 et 1245-6 du Code civil, le producteur doit être regardé comme le fabricant du produit. Par conséquent, le simple vendeur n’est concerné par cette responsabilité du fait des produits défectueux que lorsque le producteur n’a pas été identifié ou lorsque ce vendeur n’a pas désigné le producteur dans le délai de 3 mois à compter de la demande de la victime.
Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante.
Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.
Cependant concernant le vendeur qui fabrique lui-même ses produits, il convient de le considérer comme entrant dans cette catégorie de producteur. En effet, n’étant pas un simple vendeur, c’est-à-dire un commerçant qui se limiterait à proposer le produit au consommateur final, mais concevant lui-même le produit, il devient l’unique responsable en cas de défaut du produit. Il sera donc responsable du dommage dont il résulte une atteinte à la personne ou à un autre bien que le produit défectueux lui-même si son montant est supérieur à 500 euros.
En conséquence, le vendeur-fabricant pourra voir sa responsabilité engagée dès lors que les conditions posées par l’article 1245-3 du Code civil sont réunies : un produit défectueux qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et sa mise en circulation sur le marché.
Un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation.
La responsabilité du vendeur-fabricant sera une responsabilité de plein droit, c’est-à-dire sans faute. La seule utilisation du produit par le consommateur suffira à conclure à la responsabilité du vendeur dès lors qu’il prouve l’existence d’un lien entre son dommage et le défaut du produit. Mais le vendeur pourra s’exonérer par exemple s’il prouve qu’au moment où le produit a été mis en circulation, les connaissances techniques et scientifiques ne permettaient pas de déceler l’existence du défaut (article 1245-10 du Code civil).
Or même dans ce cas, l’article L423-2 du Code de la consommation relatif au risque de développement du produit prévoit que le vendeur doit informer les autorités administratives compétentes sur les risques d’un produit déjà commercialisé. Par conséquent, il sera difficile au vendeur-fabricant de prétendre à l’exonération systématique, en alléguant que lors de la mise en circulation il ne lui était pas possible de déceler le défaut, compte tenu des connaissances techniques de l’époque.
En résumé, la violation d’une obligation de sécurité de résultat qui pèse sur le vendeur-fabricant pourra servir de fondement à une responsabilité pour un défaut des produits alimentaires (produits « fabriqués maison » du vendeur, ou les produits du boulanger, par exemple). Pour les autres produits (meubles corporels ou incorporels) fabriqués par le vendeur et qui comportent un défaut dont il résulte un dommage, c’est la responsabilité du fait des produits défectueux qui aura lieu à s’appliquer.