L’entreprise en difficulté est un sujet complexe. Pour comprendre plus amplement les sujets intéressants ce domaine, nous vous proposons une suite d’articles.
Il s’agira tout d’abord de se concentrer, dans ce premier article, aux différentes difficultés que peuvent rencontrer les entreprises ; nous nous intéresserons également aux signaux d’alerte à relever ainsi qu’aux mesures préventives à mettre en place.
Dans les deux articles à venir, nous aborderons les procédures collectives, puis les dispositifs de reprise d’entreprises en difficultés.
1/ L’entreprise en difficulté
L’entreprise en difficulté est une entreprise se trouvant en état proche de cessation de paiement.
A/ La notion de cessation de paiement
L’état de cessation de paiement d’une entreprise désigne un état de difficulté tel, que l’entreprise ne se trouve plus en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible (article L631-1 du Code de commerce). Pour comprendre cet état de cessation de paiement, il est nécessaire de s’arrêter sur deux notions principales, qui le caractérisent : l’actif disponible et le passif exigible.
Comme précisé plus avant, l’actif disponible doit être compris comme l’une des deux composantes de l’état de cessation de paiement, et peut être comparé au passif exigible.
L’actif disponible doit être compris comme les valeurs disponibles dont l’entreprise peut disposer de manière quasi immédiate ; ce sont les éléments qui figurent à l’actif du bilan. Par exemple, peuvent être qualifiés d’actif disponible, toutes les liquidités dont l’entreprise dispose en banque, ainsi que tous les éléments appartenant à l’entreprise et qui peuvent faire l’objet d’une vente à très court terme. Précisons toutefois que ces derniers éléments ne doivent pas, par leur vente, empêcher l’entreprise de fonctionner normalement. En comptabilité, l’actif disponible comprend : les créances, les stocks, les valeurs mobilières, les disponibilités en banque, …
Le passif exigible quant à lui, est une notion de trésorerie. Elle se comprend comme le fait de pouvoir payer ou non immédiatement ce que l’entreprise doit. Le passif exigible correspond donc aux dettes de l’entreprise, c’est-à-dire les dettes arrivées à échéance, qui n’ont pas été réglées, et dont les créanciers peuvent exiger le paiement immédiatement. Attention toutefois, les dettes figurant au passif exigible doivent remplir certaines caractéristiques : elles doivent être certaines, liquides et exigibles. La dette est exigible si la date d’échéance de paiement est arrivée à son terme ; la dette est certaine si celle-ci n’est pas contestée ; enfin, la dette est liquide si la somme que l’entreprise doit payer est définie. Plus simplement, le passif exigible de l’entreprise se compose de toutes les charges et factures que celle-ci doit s’acquitter.
L’entreprise doit donc, pour ne pas se retrouver en état de cessation de paiement, avoir la capacité de régler son passif exigible grâce à son actif disponible. Dans le cas inverse, c’est-à-dire si son actif disponible ne lui permet pas d’honorer son passif, l’entreprise se trouve en état de cessation de paiement.
Néanmoins, nous réaborderons plus amplement cette notion de cessation de paiement dans un second article, consacré aux procédures collectives.
Les difficultés rencontrées par les entreprises sont de causes diverses ; elles peuvent être externes ou internes à l’entreprise. Il est possible de citer pour exemple deux causes de difficultés ayant pu être rencontré par une entreprise : les cas de la crise « Covid-19 », et du mouvement dit des « gilets jaunes ». Dans la plupart des cas, les causes de difficultés rencontrées par les entreprises sont d’ordre interne et sont dû par exemple à de mauvaises gestions de stratégies de développement, des coûts de développement trop importants, …
B/ Les entités objet du droit des entreprises en difficultés
Dans ces différentes entités, on retrouve aussi bien des entreprises individuelles que des personnes morales.
Toute personne physique, dès lors qu’elle exerce à titre habituel une activité commerciale, artisanale, agricole ou une profession indépendante peut solliciter l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation. Le mode d’exploitation de la personne est sans incidence sur cette possibilité. Toute personne exerçant une activité artisanale peut faire l’objet d’une procédure collective.
L’application des procédures collectives aux agriculteurs est subordonnée à 2 conditions : l’agriculteur doit exercer une activité agricole au sens de l’article L311-1 du Code rural, et la jurisprudence exige que l’agriculteur exerce cette profession de manière habituelle. Néanmoins, l’immatriculation de l’agriculteur au registre spécial des agriculteurs n’est pas nécessaire.
Toute personne physique exerçant une activité indépendante peut demander l’ouverture d’une procédure collective. Sont ainsi visé toutes les professions libérales, les officiers ministériels mais également toutes les activités exercées de manière indépendante, c’est-à-dire sans aucun lien de subordination.
Enfin, toutes les personnes morales de droit privé peuvent être soumises à une procédure collective et ce quelle que soit la nature de leur activité. Sont en revanche exclu du domaine du droit des entreprises en difficulté, les groupements ou les entités dépourvus de personnalité juridique ; en sont également exclu les personnes morales de droit public.
2/ Détecter les signaux d’alerte
Avant que l’entreprise ne rencontre des difficultés particulièrement insurmontables, il est probable que des signaux d’alerte se présentent à elle ; il est donc primordial pour l’entreprise de pouvoir identifier les causes pouvant la mettre potentiellement en péril ultérieurement. Notamment, il est possible de citer trois grands indicateurs, auxquels l’entreprise doit porter une attention particulière.
- La trésorerie
Il est nécessaire pour toute entreprise de connaître les liquidités disponibles. Il est donc important de porter attention à cette donnée.
- Le chiffre d’affaires
Le chiffre d’affaires est une des sources principales de trésorerie pour l’entreprise. Il est donc essentiel d’y porter une attention particulière, afin de connaitre avec précision son niveau et son évolution. De nombreux outils sont disponibles pour l’entreprise afin de suivre facilement et en temps réel le chiffre d’affaires.
- La rentabilité de l’entreprise
Il faut toutefois rappeler que pour être pérenne, l’entreprise doit être rentable et ne pas travailler « à perte ». Néanmoins, il est parfois ardu de savoir si l’entreprise est bénéficiaire ou déficitaire au premier abord ; il est donc important de se faire aider par des professionnels qualifiés, pour ne pas se perdre dans les différentes données.
De plus, des organismes peuvent parfois apporter de l’aide aux entreprises rencontrant des difficultés (baisse de trésorerie, difficultés avec des fournisseurs, …). À titre d’exemple, la chambre du commerce et de l’industrie peut apporter un soutien en aidant les entreprises à apprendre à anticiper les difficultés rencontrées, mais également à y faire face.
La chambre du commerce et de l’industrie s’est fixé plusieurs objectifs pour accompagner les entreprises dans les premières difficultés rencontrées, afin que celles-ci ne se retrouvent pas dans une situation irréversible de difficulté :
- État des lieux de la situation financière de l’entreprise ;
- Information aux dispositifs de soutien techniques et financiers ;
- Bénéfice d’un service de médiation pour rechercher des solutions durables et pérennes ;
- Informations sur les sources d’aides et de financement disponibles ;
- …
Lorsque la situation de difficulté de l’entreprise est irrémédiablement compromise, la chambre du commerce et de l’industrie propose également un accompagnement en cas d’ouverture de procédure collective.
3/ Les traitements amiables et préventifs des difficultés des entreprises
La difficulté d’une entreprise n’implique pas forcément la cessation de paiement. Une procédure d’alerte a été mise en place, destinée à permettre au dirigeant de déceler les difficultés de son exploitation et de prévenir les aggravations. La loi consacre dans la même optique le recours à un mandataire ad hoc (article L. 611-3 du Code de commerce). Enfin, il existe la procédure de conciliation (article L. 611-4 du Code de commerce), dont l’ouverture peut être demandée par une entité qui n’est pas en état de cessation de paiement depuis plus de 45 jours.
A/ La procédure d’alerte
La procédure d’alerte a pour objectif d’attirer l’attention des dirigeants sur la situation de leur entreprise. Le Code de commerce institue 5 procédures d’alerte distinctes.
En premier lieu, le commissaire aux comptes dispose d’un pouvoir d’alerte (article L234-1 du Code de commerce). Le déclenchement des procédures d’alerte est une obligation générale pour les commissaires aux comptes ; cette procédure doit être déclenchée lorsque les commissaires relèvent au cours de l’exercice de leur mission, des éléments ou des signes leur laissant craindre, soit une rupture prochaine dans la poursuite de l’exploitation de l’activité, soit un péril sur l’exploitation.
Cette obligation de déclencher l’alerte est exclue lorsqu’une procédure de conciliation ou de sauvegarde est engagée par le débiteur (article L234-4 alinéa 6 du Code de commerce). Les modalités de la procédure d’alerte varient en fonction du type de société.
Deuxièmement, les associés de la société disposent également d’un droit d’alerte. Ce droit est réservé à certains associés : les associés non-gérants des sociétés à responsabilité limitées (SARL) prévu par l’article L223-36 du Code de commerce, ainsi que les actionnaires des sociétés par actions qui détiennent ensemble ou séparément au moins 5% du capital prévu par l’article L225-232 du Code de commerce. Le droit d’alerte des associés se limite à poser des questions écrites aux dirigeants sur les faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. Les faits générateurs de l’alerte sont les mêmes que dans le cas de l’alerte déclenchée par le commissaire aux comptes.
Troisièmement, le comité social et économique (CSE) dispose également d’un droit d’alerte (article L2312-63 du Code de commerce). Le droit d’alerte du CSE est destiné à susciter une discussion avec la direction de l’entreprise.
En quatrième lieu, dispose d’un droit d’alerte en vertu du Code de commerce, le président du tribunal de commerce (article L611-2) et du tribunal judiciaire (article L611-2-1). Ce droit autorise le président du tribunal de commerce à convoquer les dirigeants d’une société commerciale, d’un groupement d’intérêt économique, d’une entreprise commerciale ou artisanale lorsque l’entreprise connaît des difficultés de nature à compromettre la continuité de son activité. Le président du tribunal judiciaire dispose d’une prérogative identique s’agissant des personnes morales de droit privé exerçant une activité non commerciale et des personnes physiques exerçant une activité indépendante.
Enfin, les groupements de préventions agréés ont un droit d’action ; ces derniers disposent également d’un droit d’alerte. Les groupements de préventions agréés sont souvent des structures associatives qui permettent de contrôler et d’agréer la situation économique et financière de l’entreprise. Le Code de commerce prévoit à l’article L611-1 que « Toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au registre national des entreprises en tant qu'entreprise du secteur des métiers et de l'artisanat ainsi que tout entrepreneur individuel à responsabilité limitée et toute personne morale de droit privé peut adhérer à un groupement de prévention agréé par arrêté du représentant de l'État dans la région ». La mission des groupements de prévention consiste à analyser les documents comptables et financiers des entreprises adhérentes et éventuellement à jouer le rôle d’assistance. L’alerte des groupements de prévention se limite à informer le chef d’entreprise des difficultés qu’ils ont pu relever lors de l’analyse des documents ; ils peuvent également proposer l’intervention d’un expert.
B/ La conciliation
La procédure de conciliation est instituée spécifiquement pour une entreprise qui rencontre « une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible » (article L611-4, L611-5 et L611-17 du Code de commerce). Cette procédure de conciliation a pour objet essentiel de permettre la conclusion d’un accord négocié avec les principaux créanciers de l’entreprise avec l’aide d’un conciliateur ; toute entreprise, à l’exception des agriculteurs, peut solliciter le bénéfice de la conciliation lorsqu’elle éprouve une difficulté avérée ou prévisible à condition de ne pas se trouver en état de cessation de paiement depuis plus de 45 jours. Néanmoins, pour les entreprises qui ne sont pas encore en état cessation de paiement, les difficultés simplement prévisibles peuvent suffire à justifier l’ouverture d’une procédure de conciliation.
L’objectif de la conciliation est un sauvetage rapide et confidentiel de l’entreprise, en dehors de toute solution imposée par le juge.
L’ouverture d’une procédure de conciliation ne peut être sollicitée que par le représentant de l’entité ; la demande d’ouverture de cette procédure est un acte de gestion qui ne peut être imposé ni par les créanciers, ni par le juge. La demande d’ouverture doit être adressée par écrit au président du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire du ressort de l’entreprise. Cette demande doit contenir : la situation économique, financière, sociale et patrimoniale de l’entreprise ; les besoins de financements ; les moyens de faire face aux difficultés ; une attestation sur l’honneur du débiteur certifiant l’absence de toute procédure de conciliation dans les 3 mois précédents (article L611-6 du Code de commerce).
Le but de la conciliation est de parvenir à un accord entre le débiteur et ses créanciers ; cet accord est élaboré et conclu sous l’égide du conciliateur. La mission du conciliateur peut parfois être étendue, et par exemple tendre à la sauvegarde de l’entreprise, la poursuite de son activité ou au maintien des emplois (article L. 611-7 du Code de commerce).
Une fois l’accord de conciliation conclu, il peut être constaté ou homologué ; des effets particuliers attachés à ces deux modalités diffèrent.
La constatation de l’accord a pour objet de lui donner force exécutoire ; la décision de constatation met un terme définitif à la procédure de conciliation.
La décision de l’entreprise de solliciter l’homologation de l’accord fait perdre à cet accord sa confidentialité. Le demande d’homologation est subordonnée à 3 conditions : le débiteur ne doit pas être en cessation de paiement ; si c’est le cas, l’accord conclu doit lui permettre de mettre fin à son état de cessation de paiement. En outre, les termes de l’accord doivent être de nature à assurer la pérennité de l’activité de l’entreprise. Enfin, l’accord ne doit pas porter atteinte aux intérêts des créanciers non-signataires. Si ces conditions sont réunies, l’homologation est accordée par le tribunal.
Que l’accord soit constaté ou homologué, son inexécution par le débiteur (l’entreprise) ou le créancier emporte sa résolution judiciaire, et l’effacement des délais de remise de dettes qui avaient été consentis (article L611-10-3 du Code de commerce).
L’ouverture d’une procédure collective met fin de plein droit à l’accord (article L611-12 du Code de commerce).
C/ Le mandat ad hoc
Toute entreprise, quelle que soit sa forme ou son activité, peut solliciter du président du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire, la nomination d’un mandataire ad hoc (article L611-3 du Code de commerce).
La mission du mandataire va consister à aider le débiteur dans la négociation des délais de remise de dette avec ces créanciers. Il arrive également que le mandataire se voit attribuer la mission de rechercher des partenaires pour investir dans l’entreprise. Le recours au mandataire vise à trouver une solution discrète et négociée.
Les différentes entités sollicitées avant toutes phases critiques pour l’entreprise peuvent varier. Parfois, les signaux d’alerte peuvent suffire à aider l’entreprise ; toutefois l’intervention d’acteurs extérieurs, conciliateur ou mandataire, peut être nécessaire. Néanmoins, lorsque la situation de l’entreprise est irrémédiablement compromise, la nécessité d’engager une procédure collective peut parfois être indispensable.