Il convient tout d’abord de dĂ©finir la notion de brevet, outil essentiel pour l’innovation. De façon gĂ©nĂ©rale, il peut ĂŞtre dĂ©fini comme un droit de propriĂ©tĂ© industrielle accordĂ© par une autoritĂ© publique, en France l’Institut national de la propriĂ©tĂ© industrielle (INPI), visant Ă protĂ©ger une invention d’éventuelles contrefaçons et permettant Ă celui qui la revendique d’en percevoir les fruits.Â
Le système actuel et ses limitesÂ
Aujourd’hui, un inventeur a deux solutions lorsqu’il souhaite protĂ©ger une innovation. Il peut d’une part, avoir recours Ă la procĂ©dure nationale en obtenant des brevets dans tous les pays souhaitĂ©s et d’autre part, il peut passer par le brevet europĂ©en mis en place en 1973 et dĂ©livrĂ© par l’Office europĂ©en des brevets (OEB), qui a permis d’harmoniser les procĂ©dures, mais n’a pas rĂ©solu les problèmes liĂ©s Ă la multiplication des titres. Bien qu’une seule procĂ©dure d’examen et de dĂ©livrance soit menĂ©e lorsqu’une entreprise ou un particulier souhaite protĂ©ger une invention dans plusieurs pays de l’Union EuropĂ©enne, il est nĂ©cessaire de faire valider le brevet dans chacun d’entre eux et il n’est pas possible d’obtenir un seul titre valable pour l’ensemble de ces pays, sans validation prĂ©alable. Le processus s’avère donc complexe et les coĂ»ts peuvent ĂŞtre considĂ©rables.Â
L’idĂ©e en mettant en place un système unitaire est de pallier aux difficultĂ©s posĂ©es par l’actuel cadre, de faire disparaĂ®tre les formalitĂ©s de validation et de proposer un effet unitaire au brevet europĂ©en classique que l’on connaĂ®t.Â
Le brevet unitaire européen, un système différent mais complémentaire
Objet de dĂ©bat pendant des dĂ©cennies, la volontĂ© de mettre en place un brevet europĂ©en Ă effet unitaire n’est pas nouvelle puisqu’elle a Ă©tĂ© abordĂ©e lors de la crĂ©ation de la CommunautĂ© Ă©conomique europĂ©enne en 1957.Â
Le cadre juridique de ce brevet est formĂ© par les règlements n°1257/2012 et n°1260/2012 (le “paquet brevet unitaire”). DĂ©livrĂ© par l’OEB, il serait valable dans l’ensemble des États membres participants de l’Union europĂ©enne, en l'occurrence les 25 pays qui ont choisi de faire partie de la coopĂ©ration renforcĂ©e.Â
Pour se voir dĂ©livrer ce titre, il faudra se conformer aux mĂŞmes règles que pour le brevet europĂ©en. Une fois ce dernier obtenu, les demandeurs devront dĂ©poser une requĂŞte auprès de l’OEB sous 1 mois afin de lui confĂ©rer un effet unitaire. Son titulaire bĂ©nĂ©ficiera alors d’une protection uniforme de son invention dans ces 25 États.Â
Le brevet Ă effet unitaire ne s’imposera pas aux particuliers et aux entreprises, il coexistera avec les systèmes dĂ©jĂ existants, c'est-Ă -dire le brevet europĂ©en classique et celui national. Une fois en vigueur, ils disposeront donc de trois choix s'ils souhaitent obtenir une protection par brevet.Â
La mise en place du brevet Ă effet unitaire s’accompagne de la crĂ©ation d’une juridiction unique commune aux États membres participants : la juridiction unifiĂ©e des brevets (la JUB)Â
La crĂ©ation d’une nouvelle juridiction internationale : la juridiction unifiĂ©e des brevetsÂ
Exclusivement compétente pour statuer sur les litiges relatifs aux brevets européens classiques et unitaires, les juridictions nationales ne pourront plus être saisies de ces questions.
Ce système juridictionnel se subdivise en deux niveaux :
- Un tribunal de première instance composé d’une division centrale ayant son siège à Paris avec des sections à Londres et Munich ainsi que de divisions régionales et locales,
- Une Cour d’appel ayant son siège Ă Luxembourg qui sera le dernier niveau de juridiction. La Cour de justice de l’Union europĂ©enne ne pourrait ĂŞtre saisie qu’en cas de question prĂ©judicielle.Â
Les dĂ©cisions prises par la JUB seront automatiquement exĂ©cutoires dans l’ensemble des États membres participants ce qui Ă©vitera l’existence de jugements parallèles et divergents sur une mĂŞme affaire. Par exemple, en cas d’annulation d’un brevet unitaire europĂ©en, celle-ci s’appliquera dans tous ces Ă©tats de manière uniforme. La sĂ©curitĂ© des titulaires des titres et la lutte contre la contrefaçon seront renforcĂ©es grâce Ă cette juridiction unifiĂ©e.Â
Aujourd’hui, le "forum shopping" est quasiment inévitable puisque chaque partie cherche à tirer profit de la situation et à saisir la juridiction la plus susceptible de donner raison à ses intérêts. Avec la JUB, cela ne sera plus possible puisque sa saisie sera obligatoire en cas de litige.
Cependant, il est essentiel de noter que son entrĂ©e en vigueur se fera progressivement. En effet, durant une pĂ©riode de sept ans, les litiges relatifs aux brevets pourront encore ĂŞtre introduits devant les juridictions nationales.Â
Une fois le système unitaire europĂ©en mis en place, son titulaire ne devra plus engager des procĂ©dures dans plusieurs États membres et pourra protĂ©ger ses droits grâce Ă une action unique devant la JUB. Cette simplification permettra une rĂ©duction significative des frais devant ĂŞtre dĂ©boursĂ©s par le demandeur de près de 70% et donc un accès facilitĂ© pour les inventeurs.Â
Ă€ titre de comparaison, le coĂ»t d’un dĂ©pĂ´t de brevet pour une durĂ©e de 10 ans dans les États membres participants s'Ă©lèverait Ă 5000 euros ce qui correspond aujourd’hui au coĂ»t d’un brevet dĂ©posĂ© dans seulement quatre États .Â
Pourtant très prometteur, les complications s'enchaĂ®nent et la mise en place de ce système unitaire s’avère ĂŞtre plus complexe que prĂ©vu.Â
Contretemps pour le brevet unitaireÂ
Partie d’un concept relativement simple, l’idée est finalement très compliquée à mettre en œuvre.
Le brevet unitaire étant lié à la création de la JUB, les règlements de l’UE n°1257/2012 et n°1260/2012 entrés en vigueur début 2013 ne pourront s’appliquer que lorsque l’accord relatif à la JUB le sera également.
En vertu de son article 89, l’accord impose la ratification de 13 pays des 25 membres participants y compris par les trois États comprenant le plus grand nombre de brevets europĂ©ens produisant leurs effets durant l'annĂ©e 2012, soit l'Allemagne, la France et l'Italie. L’Italie a remplacĂ© le Royaume-Uni suite au retrait de ce dernier de l’Union europĂ©enne.Â
À ce jour, 16 États participants, dont l’Italie et la France, ont ratifié l’Accord. Cependant, le "paquet brevet unitaire" est pour le moment bloqué puisqu’il manque la ratification de l’Allemagne afin que l’accord puisse entrer en vigueur.
- Premier obstacle : le Brexit. Alors que la crĂ©ation d’un brevet unitaire et d’une juridiction unique semblait proche de son aboutissement, le Royaume-Uni est venu porter un coup de massue en annonçant son dĂ©part de l’Union europĂ©enne. Après avoir ratifiĂ© l’accord sur la JUB, le gouvernement anglais a fait machine arrière et a annoncĂ© que le pays n’y participerait pas. C’est donc l’Italie qui lui a succĂ©dĂ©.Â
- Une autre difficultĂ© a Ă©galement fait son apparition : le ralentissement du processus de ratification en Allemagne puisqu’un recours a Ă©tĂ© dĂ©posĂ© contre la loi de ratification. Le 20 mars 2020, la Cour constitutionnelle fĂ©dĂ©rale allemande a statuĂ© et a remis en cause les conditions de ratification de cette loi, car elle s’apparente Ă un amendement constitutionnel. En effet, la JUB pourra se voir confier des fonctions judiciaires et donc se substituer aux tribunaux allemands. Or, la Constitution allemande impose qu'une telle loi rĂ©unisse la majoritĂ© des deux tiers du Parlement allemand pour ĂŞtre votĂ©e. C’est ce qu’il s’est passĂ© le 26 novembre 2020, l’assemblĂ©e parlementaire de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale d’Allemagne, le Bundestag, a adoptĂ© Ă une large majoritĂ© l’accord JUB. Le projet a ensuite Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© Ă la Chambre haute du parlement allemand, le Bundesrat, qui a Ă©galement donnĂ© son aval. Il ne manque maintenant plus que la signature du prĂ©sident Allemand, Frank-Walter Steinmeir, pour que la ratification de l’Allemagne soit officielle et que les derniers prĂ©paratifs pour la mise en place de la JUB dĂ©butent.Â
Si tout se dĂ©roule comme prĂ©vu, la juridiction unifiĂ©e du brevet et le brevet unitaire pourraient donc voir le jour en 2022.Â
Un système favorable aux consĂ©quences limitĂ©esÂ
Tout d’abord, le nouveau système mis en place par le brevet unitaire concerne moins de pays que les brevets europĂ©ens classiques puisqu’il sera ratifiĂ© seulement dans les 25 États membres participants. Il aura donc un impact moindre.Â
De plus, il ne concernera pas tous les États membres participants dès le dĂ©part, car ils n’auront sans doute pas tous encore ratifiĂ© l’accord relatif Ă la JUB. Ces ratifications auront lieu au fur et Ă mesure, ce qui crĂ©era des brevets unitaires ayant une couverture territoriale diffĂ©rente au fil du temps car dans le cas oĂą d’autres États membres ratifient l'accord après l'inscription de l'effet unitaire par l'OEB, l’extension de la couverture territoriale ne sera pas pour autant possible.Â
Comme nous l’avons indiquĂ© ci-dessus, le brevet unitaire va s’additionner aux rĂ©gimes dĂ©jĂ existants. On peut donc supposer que certaines entreprises choisissent diffĂ©rents types de brevets en fonction de la façon dont ils dĂ©sirent protĂ©ger l’innovation en question. Ă€ terme, le nombre de dĂ©pĂ´ts devrait augmenter ce qui pourrait gĂ©nĂ©rer encore plus de complexitĂ©.Â
Il faut maintenant faire preuve de patience, voir comment les choses évoluent et espérer que les résultats soient au rendez-vous.